Parfois, on peut croire que la vie d'un enfant va être plus au moins facile en fonction du contexte dans lequel il vient au monde. Si vous naissez dans un quartier pauvre et dangereux, vous avez une plus grande chance d'être malheureux que si vous poussez votre premier cri dans une luxueuse clinique privée, de parents riches. Mon cas est le second.

Naître avec une cuillère en argent dans la bouche n'est pas forcément ce qui fait de vous une bonne ou un mauvaise personne. Au contraire. J'estime que l'on est le fou que d'une société, par conséquent, l'opinion sur le bien et le mal est très différente d'un milieu à un autre. Mes parents étaient des personnes très respectés dans leur échelons de la société. Il faut dire que mon père était un homme d'affaire redoutable, sûr de lui et ambitieux. Il savait très bien mener les gens à la baguette, et obtenir ce qu'il voulait était sa seconde nature. Cependant, à travers mon regard de petite fille, ce n'était pas vraiment ce qui m'importait le plus. Ce que je retiens de cette période de ma vie, c'est qu'il n'était jamais là. Toujours occupé par ses voyages d'affaires, et quand il était à la maison, il s'enfermait la plupart du temps dans son bureau, pièce dans laquelle je n'avais absolument pas le droit de me rendre. Ce qu'il savait faire par dessus tout, c'était me couvrir de cadeaux. Il fallait bien qu'il se fasse pardonner de n'être qu'un fantôme dans mon quotidien. Alors oui, au début, c'était suffisant pour combler le manque, et puis petit à petit, je compris son manège, et plus le temps passa, plus je m'éloignai de lui. Ma mère, elle, était une de ces femmes sur lesquelles vous êtes obligés de vous retourner dans la rue. Elle était grande, fine, blonde, parfaite jusqu'au bout des ongles et refaite pour rentrer dans les standards européens. Elle était encore plus connu que mon père. Une femme magnifique qui vendait son image à tout va. En société, elle avait l'air douce et généreuse. Jusqu'à mon adolescence, elle était attentionnée, et bien plus présente que mon père. Nous étions si proche toutes les deux. Mais quand mon corps commença à changer, elle fit de mon apparence le sujet principal de nos conversations. Pour ne pas dire unique. Elle devint obsédée par mes mensurations, mon alimentation, et tout ce qui avait rapport avec mon corps. Il fallait que je sois parfaite comme elle pour réaliser son rêve : Devenir mannequin à mon tour.

Et moi au milieu de tout ça ? Je vous avouerai que je ne sais pas comment j'ai fais pour ne pas devenir une fille à papa pourri gâtée ou une princesse accro aux feux des projecteurs, pourtant, j'étais tout sauf ce genre de personne. Joyeuse, joueuse, vivante, et passionnée, j'étais bien plus le genre à dessiner pendant des heures cachés sur le toit de notre building loin des crises et des disputes. J'aimais créer. J'aimais vivre, découvrir, expérimenter. J'avais une soif de connaissance qui ne cessait de grandir et que personne autour de moi n'était prêt à étancher. Alors quand à mes 18 ans, j'appris l'existence de la double vie de mon père, les émotions furent diverses.

J'eus beaucoup de rancœur envers mon géniteur pour nous avoir menti tout ce temps, de nous avoir abandonné pour s'occuper d'autres alors qu'il avait tout ce qu'il pouvait vouloir à la maison. Le mensonge était une chose que je n'arrivais pas à concevoir et il l'avait fait depuis ma plus tendre enfance. Avait-il été sincère un jour ? Et en même temps, j'appris à ce moment là l'existence de Hippolyte, ma demi-sœur cadette. Elle venait d'un monde qui était à l'opposé du mien et bien plus connaissance et de maturité que toutes les personnes qui faisaient mon quotidien. En un clin d'œil, elle devint une personne centrale dans ma vie. Nous étions totalement opposés et à la fois complémentaire, pourtant notre relation évolua d'elle même.

Les années qui suivirent passèrent à une vitesse folle. J'entrepris des études d'art, tandis que ma sœur était en médecine. Nous étions de plus en plus proche, ne nous lassant jamais l'une de l'autre. Moony, de son surnom, ne me mentait jamais, et je en lui mentais pas non plus. C'était la base de notre relation. Je connaissais ses plus noirs secrets et pourtant, je l'aimais toujours plus. On avait fini par trouver un équilibre au milieu du chaos dans lequel elle avait grandit. Rien ne nous prédestinait à nous entendre. Et pourtant, je n'avais qu'une peur : la perdre. Elle était totalement différente de toutes les personnes qu'il m'avait été donné de rencontrer. A là fois sombre et mystérieuse, à la fois lumineuse et pleine d'amour inavoué.

Tandis que la vie suivait son cours, je tombai amoureuse de mon professeur d'histoire de l'art. Un italien venu vivre son rêve en Corée du Sud, partageant son savoir à un nombre incalculable d'étudiants. De 10 ans mon ainé, il me racontait tout un tas d'histoires sur l'art, sur l'Europe que j'avais toujours voulu découvrir, et sur ses multiples voyages. Mes yeux pétillaient devant lui. Il était doux, protecteur, et si attentionné. J'avais trouvé l'homme parfait et je lui appartenait corps et âme. Tout allait bien et puis, un soir, tout bascula.

Cette nuit-là, je n'avais pas attendu qu'il rentre de sa soirée pour aller me mettre au lit. Il devait rentrer tard, et j'étais fatiguée par ma première vraie journée en tant que tatoueuse. Alors quand il claqua la porte d'un coup sec, je me souviens m'être réveillée en sursaut. Une semaine plus tôt, ivre, il m'avait frappé au visage. Un coup de poing qui m'avait marqué la joue d'un bleu violacé. Il s'était excusé encore et encore, m'avait offert des fleurs et il m'avait promis de ne jamais recommencer. Alors totalement amoureuse de lui, je lui avait pardonné. Pourtant, ce soir-là, quand je descendis voir si tout allait bien et que je le trouvai ivre mort dans la cuisine, la peur pris le dessus. Etait-ce justifier ? Il me prit dans ses bras maladroitement, m'embrassant avec son haleine aromatisée à l'éthanol avant de m'assoir sur la table. Ses paroles étaient douce et gentilles, mais je sentais que quelque chose n'allait pas. Il me mordit le cou, me tenant fermement par les hanches à m'en faire des marques. Je voulais juste remonter et attendre que l'alcool quitte son système sanguin. "Il est tard, on va dormir ?" Ma voix n'était qu'un murmure, et pourtant, elle déclencha une tornade. Il s'énerva voulant bien plus que dormir. Il m'arracha mon short brutalement, clamant que je devais remplir mon devoir de femme. Il me criait dessus, me tirait les cheveux, me tenant avec force. Ses doigts me rentraient dans la peau. J'avais si mal. Il avait menti. Il avait promis qu'il ne me ferait plus jamais souffrir, et là, il était en train de briser sa promesse. Je me défendis tant bien que mal, le repoussant aussi loin que possible, me débattant pour qu'il lâche prise. Cette réaction ne fit que l'énerver d'avantage. La suite des évènements est un trou noir dans mon esprit. Tout ce dont je me souviens, c'est mon réveil à l'hôpital le lendemain matin ainsi que le regard du médecin qui me raconta ce qui s'était passé. Il m'avait poignardé dans le bas du ventre et j'avais perdue une quantité considérable de sang. Moony était à mes côtés quand on m'annonça que je ne pourrais jamais avoir d'enfants suite à cette horrible nuit. Je fus anéanti. Ma sœur s'occupa de tout et fit en sorte que je n'ai plus jamais à le revoir. C'est ainsi que ma peur des hommes commença.

Quelques mois plus tard, Chang, le petit ami de ma sœur, et par la même occasion, mon mentor dans le monde du tatouage, se fit assassiner. Toute notre vie devint un champs de bataille entre les médias et la police. Nous n'eûmes pas d'autres choix que de parler en échange d'une protection, d'un avenir meilleur. C'est ainsi que nous avons pris nos valises pour tout recommencer dans une petite ville américaine, bien loin de Corée : Fairwalk.

Comme dit, tout est bon pour moi. Encore désolée de l'attente. Bon jeu parmi nous!